La nostalgie de l’unité. Daniel Odier
© Daniel Odier, 1999 © 1999, Editions JC Lattès pour l’édition françaisePage 28&29
…Il nous arrive à tous de traverser ce qu'il est convenu d'appeler des "crises" au cours desquelles nous retrouvons cette puissante nostalgie. Tout ce qui va nous submerger avec force, nos faire douter de notre vie bien réglée, nous emporter, nous toucher profondément, nous faire prendre conscience de nos limites peut raviver cet état d'unité ou au contraire souligner son absence d'une manière bouleversante. Pendant ces crises, nous allons nous sentir fragilisés mais extrêmement vivants et c'est ce sentiment de boire à nouveau à la source frémissante qui va nous pousser à des actions parfois bénéfiques, parfois neutres, parfois catastrophiques.
Ce sentiment, ce besoin de liberté, cette ivresse, c'est ce que nous appelons "les passions" et, bien que nous sachions qu'elles nous rendent à la vie, elles déclenchent en général une certaine culpabilité qui va de pair avec la désapprobation sociale, comme si vivre c'était s'habituer progressivement à l'étouffement, à la mort lente. Personne, mêmes les parangons de vertu, n'échappent à ces sursauts, à ces cataclysmes et s'ils sont le plus souvent mal interprétés, c'est simplement parce que tout le monde sait à quel point c'est essentiellement merveilleux d'être réveillé de sa torpeur par les passions. Ceux qui ont perdu cet état de grâce sont les premiers à condamner les victimes de ces séismes intérieurs et le malentendu continue, porté de génération en génération.
…Personne ne peut traverser la vie sans éprouver la substance dévorante du désir et des passions. Pourquoi ces sursauts nous font-il tant souffrir? Pourquoi après les avoir vécus revenons-nous souvent à l'état d'hibernation? Pourquoi acceptons-nous de payer le prix exorbitant que la société demande aux passionnés? N'y aurait-il pas une erreur fondamentale dans la manière dont nous orientons notre vie? Pourquoi notre idéal ne correspond-il pas à notre intuition profonde? Pourquoi acceptons-nous que l'émerveillement ne soit plus une qualité fondamentale de notre vie?
L'abandon de notre potentiel fondamental ne vient pas seulement de notre éducation, des difficultés de la vie, de la nécessité de s'y faire une place. Il vient avant tout de notre univers de pensée, de notre mythologie, de nos religions, de nos concepts liés aux textes bibliques et à la genèse. La faute originelle, la chute, le rachat sont de puissants principes d'inhibition et de culpabilité. Ils conditionnent notre concept de séparation.
Daniel Odier « Désirs, passions et spiritualité »
Commentaires récents