Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain
Commencer une formation de yoga, et s'entendre demander une heure de pratique par jour... Non, pas possible, trop long, trop contraignant, trop difficile, pas le temps.
Et puis se dire qu'on peut toujours essayer. Peut-être seulement 1 /2 heure par jour, ou bien un jour sur deux, en tout cas pas le dimanche.
Commencer par installer chez soi un petit coin réservé à ça, et courageusement se lancer...
Un kapâlabâthi pour commencer : au bout de 5 minutes, le dos qui tire, les genoux qui coincent. Une posture pour se dérouiller, découragement la tête ne touche pas les genoux dans la pince, les bras ne veulent pas se rejoindre dans gomukha. L'arbre chancelle yeux ouverts, comment imaginer les fermer ? Un bhastrikà pour changer, une rétention à plein. Compter le temps, 40 secondes, pourtant les autres tiennent une minute, voire deux !
Tenir quand même, s'accrocher. Un gathika de nâdîshodana. Envie d'avaler, de se moucher pour déboucher une narine, faire une pause, aller pisser, boire un café... Le téléphone qui sonne, il faudrait peut-être répondre, ça risque d'être Machin. Un coup d’œil au réveil, seulement 10 minutes, continuer de compter,4,16,8 et en même temps commenter mentalement la journée d'hier et préparer celle de demain.
Infernal. Mais s'accrocher toujours. Pourquoi ? Masochisme ? Inconscience, folie, prétention ? ... En essayant d'être très attentif, observer quand même, juste après la pratique quotidienne, un bien être, plutôt de la satisfaction. Satisfaction du corps ? Satisfaction de l'ego ? Seulement plaisir d'avoir relevé ce défi ?
Et puis un jour, constater plus précisément que ça fait du bien dans la zone du chakra sur lequel on vient de travailler. Observer plus attentivement, se concentrer sur les sensations : picotements, fourmillements, vague impression, ou frémissement de l'énergie? Guetter l'apparition de ces manifestations dans la pratique elle-même, s’apercevoir qu'elles sont là, rechercher les sensations d'effervescence, d'expansion, d'ouverture, de chaleur, d'apaisement. Porter une attention plus aiguisée sur ces sensations, s'y enfoncer, et commencer à y goûter vraiment. Soudain prendre conscience qu'il s'agit bien là de plaisir, de jouissance. Et la pratique prend une autre saveur, saveur reliée aux enseignements,la vie est une danse pour goûter et vibrer, car s'il y a jouissance, là est Ia conscience.
Les postures s'apprivoisent, les souffles aussi, un jour un gathitka se termine sans qu'on l'ait vu passer. Le temps de pratique quotidienne est passé à 1h ½ facilement, sans effort, sauf le dimanche bien sûr.
Au cours des années qui passent, se concentrer sur la vibration, de jour en jour plus présente, la rechercher dans chaque pratique, même la plus contraignante, au-delà de la difficulté.
Et puis s'apercevoir, que cet état se prolonge après la pratique, un temps de plus en plus long. Et rêver qu'il puisse être présent en permanence. Alors, le rechercher obstinément, retrouver ce lien dans la vie courante, il suffit d'y porter l'attention. Amplifier même les sensations, en faisant mûlabandha ou en redressant le dos.
Prise de conscience de la saveur aussi souvent que possible, même quand le quotidien ressemble à un tourbillon : le patron qui veut juste un dernier courrier, ça ne peut pas attendre demain, le frigo qui est vide, [serrer l'anus], le rendez-vous chez le dentiste, la grand-mère qui fait un infarctus, [Ham] le souffle qui entre, [SA] le souffle qui sort, [HAM SA, HAM SA], le contrôle technique de la voiture, la copine qui se fait plaquer par son mec, [le point rouge à la base, le point blanc au sommet], la machine à laver qui n'essore plus, le tremblement de terre à l'autre bout du monde, [rester au centre], le petit dernier qui a mal au ventre, l'aînée qui veut la permission de minuit ... pas facile, mais rester dans l'obsession du rappel, de la prise de conscience, se sentir relié à la source en soi de cette vibration.
Tout ceci renforcé par la pratique qui devient un véritable plaisir, un véritable besoin, le moment privilégié de la journée.
Quel miracle nous a poussé à continuer ? Tout était si dur, et maintenant tout devient meilleur de jour en jour.
Et soudain, on se surprend à penser à cette phrase, que les amoureux portent en médaille autour du cou, sans doute pour mieux s'en convaincre : "Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain".
Mais, d'ailleurs, c'est peut-être précisément d'amour dont il est question. Ce sentiment d'unité, de fusion, de vibration sans raison, ne ressemble-t-il pas aux toutes premières manifestations de l'Amour ?
Description idyllique ? Sans doute le quotidien n'est-il pas aussi rose, pas si linéaire non plus.
Il y a des jours où les gathika coulent et s'enchaînent sans problème, mais il y en a d'autres où on a envie de tout envoyer balader au bout de 5 minutes, des jours gris où on est happé par les problèmes extérieurs, quelquefois même pas de problèmes, juste pas envie, ras le bol. Encore pire, le doute, les interrogations, à quoi bon ? Tout Ça pour quoi ? Des jours où cette belle vibration n'est plus qu'un vague souvenir, un écho quelque part, dont on se surprend à rêver...
Jusqu'à ce qu'elle se réveille un jour, on ne sait pas pourquoi, une éclaircie, un arc-en-ciel après l'orage. Alors on se remet sur son tapis, et tout est là, où on l'avait laissé. Emerveillement de voir que tout redémarre avec la même intensité, plus fort même qu'hier. Vertige en pensant à ce que pourrait être demain... Et on repart plein d'entrain pour 2 heures de pratique par jour, même le dimanche, et on aurait presque envie certains jours d'en faire 3 ou 4.
Un jour peut-être, accéder à Ananda, félicité, béatitude, amour absolu, n'ayant rien de commun avec l'amour ordinaire, amour complètement impersonnel, inaccessible par la volonté, état qui nous prend mais ne nous appartient pas.
Vibration pure, conscience d'être, jouissance, plénitude, immobilité dans l'instant présent.
Ni hier, ni demain, pas plus demain qu'hier, mais suspendu dans l'instant présent, seul accès à l’intemporalité et à la Conscience.
Shiva Samhità I 63 : Reconnue intérieurement grâce au Soi, la conscience qui est éternelle et qui a comme qualité la félicité, grâce à l'intensité provoquée par le samâdhi, produit la jouissance dans l'être humain détaché de tout.
Shiva Samhità I 87 : L'absolu, qui n'est que béatitude et plénitude, origine de toutes choses, est le seul à exister. Celui qui arrive à rester constamment dans cette perception, est libéré de la mort, du samsâra et de la souffrance.
Evelyne Fillion
LINGA N°55 - Juin 2oo2
Commentaires récents