Benares. Rada Ivekovic
Benares Essai d’Inde Rada Ivekovic Page 60 Avec la pastille dorée qui orne son front, sa chemise de cotonnade traditionnelle toujours impeccable, le pandit est d’une élégance surprenante en cet univers ; distingué, distant, détaché de tout, jamais il ne se départit de son flegme et de son air digne. Il ne perd jamais patience et, un sourire sibyllin aux lèvres, se balance d’avant en arrière tel un pantin à ressort sur son socle. Jamais il ne hausse le ton. Il n’a pas de recul par rapport à ce qu’il fait. En a-t-il envers ce que son monde représente ? Il n’a peut être en effet pas de recul critique , du moins, dans le sens redondant où on l’entend en Occident, mais il possède par contre une certaine paix intérieure que le monde du dehors ne peut entamer. Il se distancie donc d’une autre façon, ce qui lui vaut le respect de tous. Et moi, avec ma « distanciation » investigatrice, ennuyeuse et soupçonneuse, d’Occidentale, je m’exerce à la seule chose que l’on n’enseigne pas ici en même temps que la grammaire, j’étudie « de loin » la psychologie du guru indien et les rapports qui le lient à son entourage. Il est difficile, quand on pratique cette « discipline », d’accepter un enseignement conçu pour ceux qui y croient d’avance et son nés avec. Apprendre signifie ici embrasser une foi, se laisser persuader. Alors que cela revient, selon le système auquel j’appartiens, à élaborer un « point de vue critique » et mettre en évidence les différences (en partie seulement, car je ne nie pas que cet enseignement recèle une part d’idéologie et d’endoctrinement…) Page 64 …Les gens sont polis, aimables, ils me savent gré du mal que je me donne pour m’inventer une identité. Car le monde extérieur, en fait n’a aucune existence. Ce n’est toujours qu’une histoire de seconde main, un rêve inaccessible. Je peux choisir d’être ce qui me plaît. Pour eux, cela n’a aucune importance. Ce n’est pas la vérité. Ou plutôt, de telles vérités, il en est à foison. Ils ont du mal à voir laquelle je mime le mieux, celle dont je m’accommode le plus mal. L’être humain se définit par la place qu’il occupe dans la société, la communauté, la famille. Ils m’y attribueront très volontiers une place, un statut provisoire celui d’étranger. Ici, on n’apprécie pas ceux qui cherchent à se mettre en avant ; ce n’est pas très bien vu d’être différent. On ne peut être absolument sûr de quelqu’un que s’il se fond dans son milieu. Il n’a pas besoin alors de se lancer dans des entreprises, de prendre des décisions à titre personnel. C’est ce qui...
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