Arnaud Desjardins ou l’aventure de la sagesse

Posted by on décembre 14, 2013 in extraits de livres | Commentaires fermés sur Arnaud Desjardins ou l’aventure de la sagesse

Gilles Farcet Éditions de La Table Ronde, 1987 Arnaud desjardins ouA de notables exceptions près, les relations que nous entretenons d’ordinaire avec nos semblables, pour sincères et affectueuses qu’elles puissent être, participent toujours du rapport de force. Plus ou moins habilement, plus ou moins consciemment, nous décelons chez l’autre le défaut de la cuirasse, les demandes ou les peurs, voire les habitudes par lesquelles nous le tiendrons et parviendrons à l’orienter dans la direction que nous indiquent nos propres mécanismes. L’interlocuteur fait bien entendu de même, et une part au moins de la relation se joue sur ce terrain … … si quelqu’un avance avec confiance dans la direction de ses rêves, et essaie de vivre la vie qu’il a imaginée, il trouvera des succès inattendus en des moments ordinaires. Il laissera derrière lui un certain nombre de choses, franchira une frontière invisible…. …Du seul point de vue des circonstances relatives de la vie, « le pire est toujours certains ». vieillesse, maladie, soucis et contrariétés seront au rendez vous. Les sages ne nous promettent pas le bonheur des diseurs de bonne aventure, mais une disposition intérieure stable par laquelle les évènements, quels qu’ils puissent être, concourront à notre bien ; car il est vrai, comme l’affirmait Epictète, que « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu’ils en ont »…. …Si le sage a renoué avec la spontanéité, l’aptitude à exister pleinement dans l’instant et l’ouverture qui sont des privilèges de la petite enfance, il s’est par contre délivré de l’impatience, de l’égoïsme et de la continuelle demande d’amour travestie qui, sous la carapace des accomplissements divers, régissent les comportements de la quasi-totalité des pseudos adultes au tréfonds desquels un petit être inquiet ne cesse de réclamer… …Le courageux disciple osera s’interroger : Est-ce que je peux facilement lâcher ce que je tiens ? Oui ou non ? Lâcher quand on me le demande. Lâcher quand j’en ai assez, c’est facile. Un enfant qui ne s’intéresse plus à une chose, il l’abandonne tout de suite. Mais un enfant qui tient encore à un objet, il ne veut pas le lâcher – donne ! Prête ton jouet ! - Sauf si la contrainte et les chantages affectifs des adultes sont trop forts. Est-ce que je peux remettre à demain ? Est-ce que je suis impatient, impulsif ? Est-ce que j’ai peur d’être seul, peur d’être abandonné, peur de ne plus être aimé, peur d’être critiqué ? Est-ce que l’idée d’être méprisé, renié, rejeté me fait mal ? La réponse à toutes ces questions que je me posais à moi-même c’était : Eh bien oui, Swamiji a raison, « Arnaud is a child » je suis un enfant… … Le chercheur de vérité devra apprendre à reconnaître et à tenir compte de cet enfant qui crie en lui. Une part de l’ascèse consistera à se donner l’éducation que les parents, eux-mêmes menés par leurs propres mécanismes, n’ont pas pu nous dispenser. Seul l’adulte est à même de franchir la subtile frontière qui sépare l’irréel du réel, l’illusion de la connaissance… … La fascination amoureuse ignore superbement l’incompatibilité de deux natures. On croit de bonne foi s’aimer mais il n’y a pas de possibilité d’une véritable entente. Vous ne pouvez ajuster deux pièces de mécanique qui ne se correspondent pas. La complémentarité de l’homme et de la femme repose sur la différence, mais elle repose aussi sur la possibilité d’association, d’imbrication, de complicité… … A l’étroit dans leur univers d’interdits, de peurs et de désirs sans cesse refoulés, la plupart des humains n’aiment guère voir leur semblable amorcer son envol et souhaitent en vérité que chacun demeure sagement rivé à son piquet. Médiocrité et inertie aiment à contempler leur effet, aussi en appelle-t-on à un soi disant « bon sens » pour dissuader quiconque manifeste l’intention de s’aventurer hors des sentiers battus. Pour tout encouragement, l’explorateur en herbe recueille des sentences sans appel ou des haussements d’épaules trahissant le scepticisme de ses proches face à cette nouvelle lubie…   … Notre aveuglement nous voile constamment tout le pathétique de notre condition de petits pantins manipulés par la vie, ballotté de-ci de-là au gré des espérances et des déceptions qui les réduisent en fumée, à la merci des paroles douces ou dévastatrices. Les vents de l’existence ne nous portent vers la joie que pour le lendemain nous envoyer la peine et nous laisser dévastés. Constamment en quête de stabilité, nous refoulons notre certitude de la mort mais nous nous souvenons en nous-mêmes qu’elle travaille sous nos yeux et progresse à chaque seconde, au mépris de nos projets et de nos tentatives toujours désespérées pour nous conférer l’illusion de durer. En dépit de nos mensonges, nous savons dans la profondeur n’avoir nulle part où poser la tête, en ce monde fuyant où tout nous annonce notre fin. Nous cheminons sans cesse sous les intempéries, frêle vaisseaux égarés à la recherche d’une côte, minuscules points sur un océan immensedont les vagues nous sont une constante menace. Aussi avons-nous peur et construisons nous nos jours autour de nos crispations sans oser discerner le tragique pour le prendre à bras-le-corps. Auprès de Swami Prajnanpad, Arnaud trouvera l’audace d’étreindre sa propre misère. « Vous êtes un mendiant » lui dira le maître ; « Vous mendiez l’amour ». Dans la solitude de quelques huttes en terre, l’homme de quarante ans pleurera de tout son cœur de n’être qu’un enfant suspendu aux regards et aux admirations des autres, s’agrippant à l’existence comme les misérables en Inde s’accrochent aux vêtements de passant et, sans la moindre dignité, supplient qu’on leur fasse l’aumône… … Il ne s’agit pas de chercher la vérité mais de se mettre en quête de l’erreur qui seule nous voile la vérité. Fondé sur la discrimination, le chemin va donc pour une grande part consister à démasquer l’erreur partout où elle se trouvera…. … Nous sommes légions, et une part de nous même fait souvent des promesses que nos autres « moi » se voient dans l’incapacité de tenir… … Chacun s’attache lui-même à sa prison, parce que les germes des désirs, donc des attachements, n’ont pas été tous soit épanouis et mort de leur belle mort, soit détruits par la claire vision et la compréhension de la vérité… … Nos angoisses et appréhensions sont certes multiples, mais toutes ont leur origine dans un seul et unique refus, celui de la souffrance. L’acceptation inconditionnelle de toute douleur, présente ou à venir, grande ou petite, physique ou émotionnelle, a donc pour conséquence logique l’assèchement en nous de la source où s’abreuvent nos peurs … « Not desireless, but desire free » Non pas sans désir, mais libre du désir.