LE BANQUET DE SHIVA. Christian Tikhomiroff

Posted by on janvier 8, 2014 in extraits de livres | Commentaires fermés sur LE BANQUET DE SHIVA. Christian Tikhomiroff

Christian TIKHOMIROFF

© Editions Dervy, 2013

 

Le banquet de Shiva  Page 19

  La vie n’est qu’un jeu que la plupart refuse de voir comme tel. Chacun préfère se réassurer dans le sérieux d’une conception du monde qui coagule nos tendances sociales et personnelles les plus limitées faisant de cette scène de lumière un théâtre d’ombre. Nous sommes prudents et raisonnables. Au lieu de nous abandonner aux courants profonds de la Conscience intérieure et à la jouissance légère de l’instant nous capitalisons et construisons comme des termites. Que restera-t-il de nous et de nos œuvres urbaines quand nous passerons la dernière porte ? Aurons-nous auparavant préparé cette rencontre fondamentale si nous nous sommes échinés à cultiver nos biens, nos attachements ? Si nous avons oublié d’ouvrir notre cœur et de le remplir de l’insouciance légère de la Conscience ? C’est parce que nous sommes frileux dans notre engagement personnel et intime que nous nous satisfaisons d’imiter ce que fait le plus grand nombre. Rien d’étonnant alors à ce que le chagrin nous tourmente. Nous avons besoin de sécurités et d’espoirs et nous récoltons désillusions et nostalgies. Ceci pourrait être un fermant précieux nous faisant prendre conscience de l’inanité de notre engagement. La plupart n’arrive même pas à cela. Face à leur insatisfaction ils n’incriminent pas leur attitude dans le monde mais l’attitude du monde à leur égard. Il y a incapacité à assumer la part libre et divine de l’être parce qu’elle demande trop d’initiative et trop d’autonomie. La nature a bien ficelé son plan et l’humain se dispensant de choisir se détourne de sa Conscience pour se laisser emporter dans son animalité.

 

Le Tantrisme désire réaliser le choix paradoxal de vivre la Conscience dans le corps et son champ d’expérience : l’existence.

Rien n’est plus alors contraire à l’intériorité, l’abandon des liens et des attachements devient une façon de jouir au plus profond des saveurs de la vie dont la source est la Conscience elle-même. Pour arriver à cela sans doute faut-il être un peu funambule. Sans doute aussi faut-il vouloir faire de l’Energie (la Shakti) sa compagne secrète. Alors le regard que nous jetons sur la vie et sur nous-même peut-il être celui de la libre énergie et non celui de l’étroite « morale spirituelle », celle qui a su justifier tant de guerres saintes, qui intronise tant de faux prophètes et de guru manipulateurs ou meurtriers.

 

Loin des transes bâclées de notre myopie humaine et de notre surdité spirituelle, il nous faudra peut être envisager un jour de nous confronter à notre propre destin solitaire, quand bien même il nous faille l’accomplir en communauté. A cet instant nous serons prêt pour participer au grand banquet de la Conscience, celui de Shiva.

 

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Rien a changé et ne changera vraiment. Au-delà des apparences, des modes, de la technologie, l’humain se pose les même questions, se perd dans la même recherche : celle du bonheur et du sens de sa destinée. Les religions ont essayé de répondre à ses interrogations. Certaines se sont perdues dans l’oubli, ‘autres ont confondu temporel et éternel pour finir par se pervertir dans un amalgame moral, social et financier. L’homme d’aujourd’hui, souvent désorienté dans sa spiritualité, s’éloigne des voies qui lui proposent seulement des croyances, des péchés et des punitions.

 

L’occident fut ces dernières années une terre aux horizons bouchés et aux espoirs déçus. Bien des regards s’en sont détournés pour scruter le ciel prometteur de l’Orient. Le bouddhisme en est l’exemple vivant. Il n’est pas très différent de la chrétienté dans ses conceptions du bien, du mal, de la morale et de l’ordre social ainsi que dans sa promesse d’un avenir meilleur…dans une autre vie. Pourtant il séduit parce qu’il propose une philosophie et des techniques attrayantes, plus concrètes que les seules notions religieuses habituelles. Il est sans doute la religion du troisième millénaire.

 

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Doute de la religion, épanouissement de la psychologie et arrivée de la spiritualité orientale, ont été trois facteurs qui ont favorisé l’avènement d’une « sagesse » un peu mélangée, ni d’ici ni d’ailleurs, qui a permis et avalisé les aléas des inventions personnelles, la prolifération de multiples guru et thérapeutes ou de « quelques » sectes. La confusion et l’exploitation de la crédulité et de l’espoir ont ouvert un champ d’action infini à tous les profiteurs du « nouvel âge » ainsi qu’aux spécialités liquoreuses des « Pères initiés », Pierre, Paul, ou Jean, des Saï Baba ou simplement des publicistes doués et opportunistes. A l’image de notre société de consommation nous avons voulu tout, pour tout le monde et tout de suite !

 

Le yoga n’échappe pas à l’air du temps. D’abord sujet exotique, puis mode, il est aujourd’hui méthode de bien-être reconnue. Il s’est socialisé, ses promoteurs ont créé des fédérations, des diplômes et même un syndicat. Il s’est aseptisé pour entrer dans le moule et s’est débarrassé de ce qui semblait ne pas pouvoir correspondre à notre culture et à nos attentes. Tel qu’il est le plus souvent enseigné aujourd’hui – coupé de ses racines philosophiques, de son suc vital qui en fait une expérience de vie, de mort et d’éveil – il n’est plus assez puissant pour baratter les énergies et l’être intérieur. Doit-on pour autant se résigner ? Est-ce une fatalité, un nivellement inéluctable ? Sans doute, mais heureusement, la danse de Shiva continue, étourdissant les uns, satellisant la majorité, éclairant quelques-uns. Le jeu divin ensorcelle et brouille les pistes d’un ordre qui nous est incompréhensible parce que nous n’en avons pas ou plus les clés.

 

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Pour ceux et celles qui pressentent qu’une autre vérité, que d’autres moyens existent, peut-être moins accessibles mais plus forts, nous avons voulu ouvrir une brèche et indiquer quelques signes visibles – autour de nous – qui montrent une réalité transcendante et immédiatement utilisable et modulable, loin des paradis ou des enfers, dans un corps, une personnalité et une conscience qui sont le seul pouvoir de l’individu. Ces moyens, ces failles, ces signes ne nous appartiennent pas. Ils ne sont pas « La Vérité », ils n’érigent pas de lois ou de dogmes, ils ne sont sans doute pas pour le plus grand nombre, mais ils doivent être montrés à qui les cherche.

 

…« Le Banquet de Shiva » décrit la voie des Natha-yogi qui sont souvent présentés comme la lignée shivaïte la plus ancienne, celle-là même qui donna naissance à ce que nous appelons aujourd’hui le tantrisme et dont les techniques sont connues chez nous sous le nom de hatha-yoga.

 

Enfin ce banquet permettra-t-il peut être à quelques-uns de se reconnaître comme faisant partie du même troupeau, celui des solitaires, et d’entamer ou de continuer ainsi leur marche avec plus d’assurance.